CABINET D'AVOCAT ARNAUD SOTON
AVOCATS FISCALISTES
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L’imposition du rappel de TVA comme revenus distribués.


La notion de maître de l'affaire ne dispense pas l’administration fiscale d’apporter la preuve si elle entend imposer le rappel de TVA comme revenus distribués entre les mains de l'associé, sur le fondement du 2° du 1 de l’article 109 du CGI.

Pour le Conseil d’Etat, si le rappel de TVA est déduit des résultats de l'exercice vérifié, ce rappel de TVA ne peut être imposé comme revenus distribués entre les mains des associés qu'en vertu du 2° du 1 de l'article 109 du CGI, étant entendu que l'Administration, dans ces conditions, a l’obligation d’apporter la preuve de la mise à disposition de la somme correspondante.

Rappel sur le mécanisme de l’article 109-1 du CGI.

L’article 109-1 du CGI prévoit que sont considérés comme revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevés sur les bénéfices. Cet article distingue donc les cas dans lesquels les revenus distribués ont été prélevés sur les bénéfices (article 109-1-1°) et les cas dans lesquels les revenus distribués n’ont pas été prélevés sur les bénéfices (article 109-1-2°). Il s'agit donc soit des bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (1°), soit des sommes mises à la disposition des associés et qui ne sont pas prélevés sur les bénéfices (2°).

L’article 109-1-1° concerne les cas dans lesquels la société constate un bénéfice qui ne se retrouve pas au bilan, mais qui n’a pas été régulièrement distribué. Ils correspondent à un désinvestissement de la société, c’est-à-dire, une distribution portant sur des bénéfices sociaux.

En effet l’article 47 de l’annexe II au CGI dispose que toute rectification du bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés, au titre d’une période, sera prise en compte au titre de la même période pour le calcul des sommes distribuées. Ainsi, lorsque l’administration fiscale procède à un rehaussement du bénéfice imposable de l’exercice, ce rehaussement correspond à des sommes qui n’ont pas été mises en réserve ou incorporées au capital, et qui peuvent donc être considérées comme des revenus distribués au sens de l’article 109-1-1° du CGI.

L’article 109-1-1° du CGI pose une présomption de distribution des revenus de tous les bénéfices ou produits qui n’ont pas été mis en réserve ou incorporés au capital. Ainsi, dès lors que l’administration procède à une correction conduisant à une augmentation du bénéfice imposable, les sommes correspondant à cette augmentation doivent être considérées comme des revenus distribués imposables entre les mains des bénéficiaires. La présomption légale de distribution a été instituée pour permettre de considérer comme revenus distribués tous les bénéfices qui ne sont pas demeurés investis dans l'entreprise et qui sont donc sortis du patrimoine social. La présomption de distribution résultant de l'article 109, 1-1° du CGI a une portée générale.

Cependant, le Conseil d’État avait précisé dans un arrêt du 8 décembre 1965 que l’article 109-1-1° du CGI n’est applicable que si la rectification opérée par l’administration a pour effet d’augmenter le bénéfice imposable et non de diminuer le déficit. Dans l’hypothèse où le résultat de la société deviendrait bénéficiaire en raison de la rectification, l’article 109-1-1° ne s’appliquerait qu’à hauteur de la fraction bénéficiaire. De plus, l’article 109-1-1° ne s’applique que lorsque le désinvestissement est réel, c’est-à-dire lorsque la rectification opérée par l’administration porte sur des sommes dépensées par la société sans contrepartie réelle.

En ce qui concerne l’article 109-1-2°, il s’agit d’éléments d’actif qui ont disparu du bilan pour se retrouver dans le patrimoine d’un associé. Contrairement à l’article 109-1-1°, il n’y a pas de présomption de distribution. L’administration doit ici prouver le désinvestissement résultant de la mise à disposition de sommes par la société à ses associés, actionnaires ou porteurs de parts. Ainsi, les sommes correspondant aux rehaussements apportés aux résultats d'une société, dans la mesure où ils n'ont pas donné lieu à l'établissement d'une cotisation d'impôt sur les sociétés, ne peuvent être regardées comme des revenus distribués, en vertu du 2° que si l'Administration apporte la preuve qu'elles ont été effectivement appréhendées par les associés.

 L’article 109-1-2° du CGI est applicable même si le résultat est déficitaire ce qui permet de contourner la limitation posée par la jurisprudence s’agissant de l’article 109-1-1° du CGI. Cependant, cet article n’est applicable qu’aux associés, actionnaires ou porteurs de parts et non aux salariés et aux tiers, contrairement à l’article 109-1-1° du CGI qui peut s’appliquer à des personnes qui n’ont pas la qualité d’associés.

Les dispositions de l’article L77 du LPF.

Lorsque le bénéfice correspondant aux rehaussements effectués est considéré comme distribué à des associés ou actionnaires, les impôts exigibles à raison de cette distribution sont établis sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. Pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférent à la réalisation de recettes dissimulées réalisées au cours d'un exercice donné est en principe, en vertu des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement. Par dérogation, l'article L. 77 du livre des procédures fiscales prévoit qu'en cas de vérification simultanée au regard de l'impôt sur les sociétés et des taxes sur le chiffre d'affaires, ce rappel est déduit des résultats de l'exercice vérifié, sauf à ce que la société s'oppose à l'application des dispositions de ce dernier article.

Ainsi, en cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables, formulée dans le délai qui leur est imparti pour répondre à la proposition de rectification. Lorsque des recettes dissimulées sont réintégrées dans les résultats imposables, la TVA afférente à ces produits est donc déduite du résultat du même exercice, mais les contribuables peuvent opter pour une déduction du résultat de l'exercice de la mise en recouvrement de la taxe.

La base et le fondement de l’imposition du rappel de TVA comme revenus distribués.

Le Conseil d’Etat avait déjà jugé que si le résultat passible de l'impôt sur les bénéfices est diminué du montant de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux recettes dissimulées ayant majoré le résultat déclaré, le supplément de taxe ne peut être regardé comme un revenu distribué au sens du 1°, puisqu'il n'a pas été retenu pour la détermination du bénéfice imposable, en ce sens qu’il ne peut être imposé entre les mains des associés que sur le fondement du 2° de l’article 109-1 du CGI, et à la condition justement que l’Administration prouve que les sommes correspondantes ont été effectivement appréhendées par les intéressés. Mais, selon le Conseil d’Etat, si l'associé est le seul maître de l'affaire, il est présumé avoir appréhendé les revenus distribués par la société qu'il contrôle, sauf en démontrant qu’il n’a pas effectivement appréhendé les sommes en cause ou que celles-ci ont été versées à des tiers (CE, 7e et 8e ss-sect.,16 janv. 1980, n° 14993 ; CE, plén., 22 févr. 2017, n° 388887, min. c/ Ortiz ; CE, 8e et 3e ch., 29 juin 2020, n° 432815, M. Auger).

Or, dans un arrêt du 29 juin 2020, le Conseil d’Etat a jugé que la présomption selon laquelle l'associé, lorsqu’il est le seul maître de l'affaire, a appréhendé les revenus distribués par la société qu'il contrôle, ne vaut que pour les revenus distribués définis par le 1°, c’est-à-dire les revenus prélevés sur les bénéfices, de sorte que si l'imposition de l'associé repose sur le 2°, c’est-à-dire des revenus non prélevés sur les bénéfices, l'administration ne peut se prévaloir d'une présomption de mise à disposition, même si l'associé est le maître de l'affaire (CE, 8e et 3e ch., 29 juin 2020, n° 433827).

Dans l’arrêt du 19 juillet 2024 (Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 19/07/2024, 491690), à l’occasion d’une vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et de l'impôt sur les bénéfices, des recettes dissimulées avaient été réintégrées dans les résultats imposables. La TVA afférente à ces produits est déduite du résultat du même exercice, mais les contribuables ont fait une demande  pour une déduction du résultat de l'exercice de la mise en recouvrement de la taxe, conformément aux dispositions de l’article L77 du LPF.

Les contribuables ont demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis, ainsi que des pénalités correspondantes. Par une ordonnance n° 2214486 du 19 septembre 2022, le vice-président de la deuxième section du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande et la Cour administrative d'appel de Paris, dans un arrêt n° 22PA04951 du 8 décembre 2023, a rejeté  l’appel formé contre l'ordonnance. Les contribuables se pourvoient alors en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat juge que lorsque le rappel de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L77 du LPF, mais a été déduit de ceux de l'exercice de sa mise en recouvrement, le montant regardé comme distribué entre les mains de l'associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du CGI s'entend de la totalité des recettes dissimulées, comprenant le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant.

Le premier enseignement à tirer de cette position du Conseil d’Etat est que lorsque la TVA afférente à des recettes dissimulées n’est pas  déduite du résultat du même exercice, mais à la demande du contribuable, du résultat de l'exercice de la mise en recouvrement de la taxe, le revenu distribué au sens du 1° est constitué par la totalité des recettes dissimulées, y compris le rappel de TVA.

Le deuxième enseignement est que dans ces conditions, il appartient à l'administration d'établir l'appréhension de ces sommes par l'associé. L’administration doit donc apporter ici la preuve, même si on invoque le 1°.

Le troisième enseignement est que si l'associé est maître de l'affaire, l'appréhension du revenu ainsi défini est présumée. On retombe alors dans la présomption de distribution des revenus de tous les bénéfices ou produits qui n’ont pas été mis en réserve ou incorporés au capital, posée par le 1°.

Le Conseil d’Etat juge qu’ en revanche, lorsque le rappel de TVA a été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du LPF, le montant regardé comme distribué sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts se limite au montant calculé hors taxe des recettes dissimulées. Toutefois, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée due sur ces recettes est imposable entre les mains de l'associé sur le fondement du 2° du 1 de cet article 109, à condition que l'administration établisse que cette somme a été mise à sa disposition.

Le quatrième enseignement tiré de cet arrêt est donc que si la TVA est déduite des résultats de l'exercice vérifié, et non de celui de l'exercice de sa mise en recouvrement, le revenu distribué au sens du 1° est constitué par le montant hors taxe des recettes dissimulées. Le rappel de TVA n’est donc pas compris dans les revenus distribués.

Le cinquième enseignement est que, dans cette dernière hypothèse, c’est-à-dire lorsque la TVA est déduite des résultats de l'exercice vérifié, si l'administration entend imposer le rappel de TVA comme revenus distribués entre les mains de l'associé, elle ne peut le faire qu'en se référant au 2°. L’administration ne peut donc invoquer les dispositions du 1° pour imposer le rappel de TVA, lorsque ce rappel de TVA est déduite des résultats de l'exercice vérifié.

Le sixième enseignement est que dans ces conditions, l’administration est tenue d'établir la réalité de la mise à disposition des sommes en question, même lorsque l’associé est considéré comme maître de l’affaire. La notion de maître de l'affaire ne dispense donc pas l’administration fiscale d’apporter la preuve si elle  entend imposer le rappel de TVA comme revenus distribués entre les mains de l'associé, sur le fondement du 2° du 1 de l’article 109 du CGI.

Il faut rappeler que dans leur pourvoi, les contribuables demandent au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Mais le Conseil d’Etat a refusé cette demande de renvoi estimant qu’il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les contribuables. En effet, le Conseil d’Etat rappelle que lorsque les dispositions du premier alinéa de l'article L77 du LPF ont été appliquées, le montant correspondant au rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société n'est susceptible d'être regardé comme distribué que sur le fondement des dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, et non sur le fondement de celles du 1° du même 1 dont les contribuables contestent la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 19/07/2024, 491690.

Arnaud SOTON

Avocat Fiscaliste

Professeur de droit fiscal


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